L'AGE D'OR
Alors va commencer ce nouveau siècle ( XVIème ) de prospérité de la ville de Tétouan qui verra par la suite le commencement de sa chute après avoir atteint le plus haut de degré de sa civilisation, c'est la consécration du fameux adage " l'atteinte de la sommet se suit toujours par une descente sure " cette période se caractérise par la monté des pouvoir
aux mains des Naqsis, ensuite une forte puissance économique et commerciale, enfin par l'apogée de sa civilisation forte influencée par l'étranger. La montée des pouvoirs: Ce siècle commence en 1597. Un nouveau pouvoir émerge, comme le précédent, somme toute, de la conjonction de l’autorité d’un homme, de la force d’une famille –celle des Naqsis- et en même temps d’un nouvel apport de population. En effet, dans leur politique de christianisation, les Espagnols s’en prennent de plus en plus à ceux qu’ils considèrent, à juste raison, comme des musulmans. Ils expulsent ces Morisques qu’il ne faut évidemment pas confondre avec les Moudejars qui eux, étaient restés ouvertement musulmans et parlent l’arabe. Les Morisques avaient essayé de s’adapter, tout en préservant leur foi islamique. Ils avaient abandonné, du moins extérieurement, la langue arabe pour l’espagnol. Mais ils continuaient à avoir des pratiques qui les rendaient suspects, des détails dans l’habillement dans la fréquentation du hammam. Par une série de décrets ils sont expulsées d’Espagne , en 1566-1567 et surtout en 1609-1610. Ces Morisques ont donné lieu à une importante, à des travaux récents remarquables qui montrent bien la particularité par rapport aux Moudejars, ainsi qu’entre eux. Les Morisques de Tétouan ne sont pas les mêmes que ceux qui redonneront naissance à la ville de Rabat. Ils viennent, eux, non pas d’Al-Andalus, mais de toutes les régions d’Espagne : de la Castille, de l’Extremadure, de l’Aragon. Ils apportent donc un élément très différent, beaucoup plus hispanisé. S’y ajoutent les juifs qui viennent aussi se réfugier et qui apportent alors un troisième élément, judéo-espagnol, l’Artitza, la langue particulière de leur civilisation. Et nous avons là une nouvelle entité qui va prospérer grâce à ce centre nouveau, sous la dynastie des Naqsis, qui donnera entre 1597-1667 cinq maîtres à la ville. Ils ont été initialement, et c’est là une particularité choisis par les notables de la cité, ce qui constitue une forme spéciale d’oligarchie, d’aristocratie. On ne peut jamais gouverner sans les notables de la cité ; et quand on essaie de se heurter à eux, ils réagissent. Nous aurons des exemples de ces révoltes de notables, de cette forme particulière de démocratie tétouanaise, d’oligarchie tétouanaise. Les Naqsis vont donner à la ville sa très grande prospérité. C’est le début du grand commerce. C’est le début de ses échanges avec des ville très lointaines. C’est le début d’une véritable semi-souverainté, puisque le dernier des Naqsis va négocier avec Cromwell en 1656 , prévoyant l’installation d’un consul anglais à Tétouan. Consul d’ailleurs qui ne viendra pas. Il passera devant la ville et repartira. Les circonstances ayants changé, les anglais étant désormais maîtres de Tanger, toute la donne politique va se modifier. Mais l’économie est puissante, ouverte sur l’extérieur, ce qui se traduit pas une ville désormais des plus importantes. Tétouan, à l’époque, est la ville côtière la plus peuplée du Maroc. Sa population égale, peut-être même dépasse, celle de Rabat-Salé. On peut estimer qu’elle est de l’ordre de 20 000 à 22 000 habitants. Chiffre élevé pour l’époque. 30nviron des habitants sont andalous, 40es Morisques, 10 150D des juifs, soit 2 à 3000 personnes. 10 à 15e la population rifaine sert aux travaux domestiques, aux gardes des murailles, à l’armée. Les défaites de Ghailan, le grand chef religieux du nord, en 1657-1658, puis sa mort, vont entraîner l’effondrement du pouvoir des Naqsis qui correspond d’ailleurs au règne de ce grand sultan d’énergie et de puissance qu’est Moulay Ismaël. Et Moulay Ismaël s’impose de façon fédéraliste parce qu’il sait habilement compter avec les pouvoirs locaux, qu’il ne peut empêcher de naître ; il feint donc de les reconnaître. C’est une façon évidemment de s’assurer leur appui. C’est ce qu’il fait pour le premier de ces grands personnages de la famille Riffi : Ali Ben Abdallah Riffi, figure aussi emblématique de la ville que celle d’Al-Mandri, et qui va recueillir le pouvoir au décès de Omar Ben Hadou, mort de la peste en novembre 1681, et qui avait été un des vainqueurs du siège de la Maàmora, chargé par le sultan de reconstruire la ville et sont Ali Ben Abdallah Riffi avait été le délégué du pouvoir à Tétouan.
Ali Ben Abdallah est reconnu en 1683 par Moulay Ismaël, comme le preuve une lettre par laquelle il affirme le pouvoir d’Ali. Cette lettre mérite d’être signalée, à la fois parce qu’elle indique l’étendue des pouvoirs de ce maître de la ville. Il est gouverneur des deux villes de Tanger et de Tétouan-Tanger est encore anglais et ne sera évacuée qu’en 1684- et des provinces des Algarves, c’est à dire provinces du Gharb, du nord et de Ceuta qui en dépend, et quiappartient désormais aux Espagnoles. Et Moulay Ismaël comble d’éloge celui qu’il appelle son " vice-roi tout le nord du Maroc ", celui à qui il conne parfois le nom de "ministre de ma flotte " et parfois même le nom de " responsable de mes relations extérieures ". C’est donc un habile compromis entre un pouvoir né d’une famille de notables, un pouvoir supporté, soutenu par cette oligarchie des Morisques et les Andalous, et sui reçoit ainsi en quelque sorte l’investiture du pouvoir central. Ali Ben Abdallah va résider tantôt à Tétouan tantôt à Tanger et devant Ceuta puisqu’il met le siège d’ordre du sultan devant la ville en 1694 et que ce siège ne sera levé qu’en 1727, un des siège les plus longs de l’histoire, 31 ans. Et pour montrer sa décision une mosquée, quasiment une contre ville ne fût tombée. Il transmettra ce pouvoir à son fils, Ahmed Ben Ali qui dominera de 1713-1727. [ Retours en haut ]
Puissance économique et commerciale: L’extraordinaire développement économique de la ville à cette date à souligner. La gloire et de la fortune de la cité sont à leur apogée. Les consuls s’y installent. Il y avait eu jusque là quelques représentants, de la France notamment, qui étaient des commerçants. Un consul de carrière français y est nommé pour la première fois,
en 1685. C’est le seul consulat, avec celui de Rabat, pour la France dans l’ensemble du Maroc. Il va durer jusqu’en 1723. Bientôt les Anglais vont à leur tour y installer un consul ; car ils ont abandonné Tanger en 1684. Ils regrettent assez d’avoir lâché cette ville qui leur coûtait trop cher. Ils s’emparent de Gibraltar en 1704, sont bien décidés, à conserver le rocher, ce qui s’avère jusqu’à aujourd’hui. Et il faut évidemment que ce rocher, cerné par les Espagnols, soumis à un blocus de terre, mais aussi des attaques, à des grands sièges, puisse se ravitailler. Il ne peut y parvenir que par la côte marocaine, et son seul port, par Tétouan.
Alors un consul arrive en 1705. C’est d’abord un consul marchand et puis ce sera un consul de carrière, avec la venue de Parker, de Hutchild, de Scoliof, bref, un lignée de consuls qui se maintiendra. Et ces consuls garantissent la sécurité, attirent les commerçants. On voit se créer une petite communauté européenne. Les Français dominent, Français très déchirés entre eux, ce sont des catholiques, des protestants, des Languedociens, des gens de Saint-Malo, des Molouins. Mais ils prennent les habitudes des "échelles du Levant", de ces villes qui dépendaient de Marseille pour leur administration. Et ils constituent ce qu’on appelle la Nation française, avec ces délibérations, avec son autorité. Et puis arrivent quelques Anglais. On voit un Vénitien deux Hollandais, trois Grec, et deux Arméniens; c’et à dire malgré tout, une population hétéroclite qui ajoute à la composante humaine de Tétouan. Elle apporte ce parfum venu du Nord, et parfois du grand Nord, quand il s’agissait des Suédois qui faisaient escale. Mais le fait marquant est la prospérité ; car il n’y a évidemment colonie marchande que s’il a grand commerce; et il n’y a grand commerce que ‘il y a pouvoir, et pouvoir, et pouvoir intéressé. Les rifis, que ce ce soit le père ou le fils, ont été non seulement de grands gouverneurs, non seulement des hommes de guerre, non seulement des lettrés, mais aussi d’extrêmement avisés commerçants. Ils trafiquent pour eux-mêmes. La course continue : il y a à l’époque cinq ou six bateaux qui se livrent à cette activité lucrative, dont un bâtiment appartient au gouverneur lui même, qui a donc ses prises. Il n’hésite pas à ordonner à tel ou tel commerçant européen d’aller, avec son navire, lui faire telle ou telle course, dans tel port européen ; et on est évidemment obligé de se soumettre ; Il obtient la ferme, le marché de tous les cuirs et cires du Nord du Maroc ; et la cire est un produit extrêmement important du négoce de l’époque. Il s’agit donc là d’une puissance économique. Ces grandes familles arrivées au début du XVIème siècle perdureront jusqu’à nos jours. Il y a également cette ascension si remarquable de la grande bourgeoisie négociante juive liée pour multiples raisons à la date de 1704-1713, date de l’installation anglaise à Gibraltar . Jusque là, Cadix était le port essentiel de redistribution de Tétouan. Un système compliqué faisait que les navires apportaient leurs marchandises à Cadix et que, de là, elles étaient redistribuées par de petites barques génoises ou françaises sur Tétouan. Il y avait certes beaucoup de liaisons directes, mais l’essentiel quand même des échanges procédait du commerce circuiteux: on va de Tétouan à Alger, d’Alger à Livourne, de Livourne à Marseille. Quelques places, comme Livourne, port franc et neutre, ou comme Cadix sont des places de redistribution, de relais. Or ici, Gibraltar va assumer ce rôle et donc éclipser Cadix petit à petit. L’Espagne, qui avait des relation si importantes avec le Maroc, et Cadix ne supportaient pas la présence de juifs sur leurs terres ; et que par conséquent, ces intermédiaires si précieux du négoce dans la diaspora séfarade, qui s’étaient répandus dans la Méditerranée et jusqu’à Amsterdam, ne pouvaient pas y résider. Lais ils peuvent s’installer à Gibraltar. Certes, dans le traité de 1713, les Espagnols avaient pris soin, tant leur phobie du juif était grande, de faire préciser qu’aucun juif serait admis à résider depuis 1713. Les Anglais avaient signé d’autant plus allègrement que depuis 1705 des juifs tétouanais habitaient dans la ville et que, en 1706, avait été construit à Gibraltar la première maison d’un propriétaire juif, Abraham Benhider, qui était le commerçant du Pacha Ali Rifi. Dès 1715 les juifs tétouanais ont pavillon, ont demeure, ont pignon sur rue à Gibraltar. Et il est bien évident que la proximité des deux villes renforce ce rôle essentiel de Tétouan dans le négoce et les échanges, ainsi que dans la vie économique marocaine.
Dans ces années de faste Tétouan est le premier et le plus important des ports marocains, celui dont le trafic surpasse celui de Rabat et de Salé. Ces échanges consistent en importation de produits européens, exportation de cire, de cuirs, de fruits frais Soulignons le rôle de Tétouan comme place financière par l’importation de piastres, pas l’importation de la monnaie Espagnole qui est en usage dans le Maroc, comme relais vers Fès, et vers plus loin encore, le grand sur. D’autre part,l’importation de soie grège, de soie brute atteste, le long des siècles, d’industrie de la soierie et de la broderie, spécialité tétouanaise, et que les mûriers des environs ne suffisent pas à alimenter. Signalons aussi l’exportation de plumes d’autruche, de dattes, d’ivoire, de gomme, c’est à dire de produits qui viennent de très grand sud et qui montrent l’aboutissement d’une route extrêmement importante vers l’Afrique Noire. Cette puissance va se traduire évidemment dans l’apogée de la civilisation. Tétouan est, par sa position, la ville marocaine qui a le plus de liens réguliers avec l’Alger turc, mais aussi avec le Proche Orient. Déjà commencent à s’embarquer des pèlerins. Le pèlerinage terrestre se maintient certes vivace mais il est bientôt complété par le pèlerinage maritime. C’est aussi le départ de ceux qu’on appelle les caravaneurs. Ce sont des bateaux qui vont de port en port; spécialité des Ragusins du Dubrovnik actuel. Les Ragusins viennent à Tétouan, apportent des marchandises à Alger, les remportent à Tunis puis à Tripoli, en ramènent à Alexandrie, vont jusque dans les ports syriens et recommencent au retour ce trafic qui est celui des transactuels, de ces navires vagabonds à la quête de la marchandise. Dans le port aussi les influences orientales, les influences ottomanes sont les plus nombreuses et les plus visibles.
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L'apogée de la civilisation: C’est le moment de la grande densité de la population. L’époque est une des mieux connues par les voyageurs européens parce que, justement, c’est là qu’arrivent les ambassades : Pidou de Saint Olon, Saint-Amand, Stuart, etc…débarquent à Tétouan, avant d’aller à Meknès. C’est là que viennent les racheteurs de captifs, les pères rédempteurs qui ont laissé leurs récits de voyages. Ces sources européennes extrêmement nombreuses s’accordent toutes dans leur description ou leu estimation de la ville: 25 à 30 000 habitants. Elle ne dépassera jamais ce niveau jusqu’à l’explosion démographique du XXème siècle, jusqu’aux années 1900. Elle augmente donc considérablement. Elle ne sera ceinturée de nouvelles murailles qu’aux XVIIIème siècle. C’est le moment également où s’élèvent les grands palais, les palais des Rifis qui sont parmi les plus importants, les palais des grandes familles, les palais de certains personnages comme ce converti, le comte de Riperda, qui fit construire un des palais des plus somptueux aux alentours de la ville, et dont admirait encore à la fin du XIXème siècle la beauté et la splendeur. C’est aussi le développement de cette culture originale qui ajoute à ce fond Moudejar l’apport des Morisques. Dans la joaillerie, par exemple le décor d’oiseau est très caractéristique; dans le costume on voit l’influence de la renaissance espagnole; dans tout un art de vivre, dans toute urbanité qui, dans sa finesse, son raffinement, est propre même de Tétouan. Et même justement dans les influences ottomanes, lorsqu’on voit, par exemple, dans ces mosquées édifiées au XVIIIème siècle, la forme quasi traditionnelle de la mosquée quadrangulaire être remplacée par la mosquée à plusieurs pans, octogonales, ou dans le décor floral. Ainsi apparaît en quelque sorte une Cité-Etat qui, véritablement, à sa mesure et à la spécificité marocaine, peut rappeler par certains traits la Florence de la grande époque ou de la Venise des Doges. Et là encore, comme pour Florence à qui Pise et la mer fournissaient la fortune, c’est la mer qui avait apporté cette richesse. Dans cette vie qui semblait ainsi s bien assurée, dans ces sécurités bourgeoises, de très grande bourgeoisie, vient s’abattre le troisième siècle. [ Retours en haut ]
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